Lettre ouverte de Patrick Bateman (1) à Libération
Ce matin je porte un tee-shirt col rond gris de jersey de coton imprimé «Don’t believe what people say, I’m INNOCENT»
de chez Dior Homme, collection automne-hiver 2008-2009. C’est ma
manière de protester. Oui je proclame que je suis innocent comme tous
mes collègues de chez Lehman Brothers, Goldman Sachs, Drexhel Burnham
Lambert, Merrill Lynch, JP Morgan Chase et je ne rendrai jamais
l’argent. C’est vous qui avez fait de nous des SEIGNEURS. J’ai régné
durant vingt ans sur Wall Street, j’avais une maison dans les Hamptons
où je n’allais jamais et un penthouse à Soho et table ouverte chez
Cipriani et bouteilles at the Box et traits au Socialista et combien de
mannequins-putes draguées sur Facebook j’ai enculées dans les chiottes
du Bungalow 8 c’était le bon temps quand mon sperme se mêlait au sang
et au caca dans la bouche de Nancy ou Mandy ou Polly que je frappais
avec un spéculum pour leur faire avaler quinze pinces à seins chromées
de chez Sonia Rykiel Paris.
Quand j’éjaculais sur leurs plaies je beuglais «NOT GUILTY».
C’était bon quand Nancy ou Mandy ou Polly dégobillait sur mes boots en
veau verni noir Marc Jacobs pour Louis Vuitton puis je remontais dans
la Bentley pour m’essuyer la bite pleine de vomi et de merde avec une
pochette en soie de chez Brooks Brothers sur laquelle mes initiales
«P.B.» étaient brodées. J’entendais dans l’autoradio ma chanson
préférée du moment : »C’est beau la bourgeoisie qui boit du champagne…» par Discobitch, et je demandais au chauffeur black de monter le son.
Vous croyez que la chute de la démocratie occidentale est de ma
faute ? Pas question de renoncer à mon golden parachute de 213 millions
de dollars, ni au bonus annuel 2007 de 312 millions de dollars, ni de
restituer mon salaire 2008 de 278 millions de dollars (déjà que j’ai
perdu mes 653 millions de dollars de stock-options, qui valent zéro
centime aujourd’hui, fucking hell). La ruine de l’Occident est juste
une nuit blanche qui a mal tourné. Le vrai responsable s’appelle Ben
Laden. Quand le World Trade s’est effondré l’Amérique a tout perdu et
deux guerres plus tard elle se réveille en faillite et je suis innocent.
L’argent que vous avez donné aux golden boys était un putain
d’investissement, vous pigez ? Nous avons payé un lourd tribut au
capitalisme : insomnies, sueurs froides, ulcères, dépressions, certains
sont même devenus SM hardcore jusqu’à se faire zigouiller comme Edouard
Stern, d’autres ont fini en taule (Nick Leeson, Mike Milken, Jérôme
Kerviel), moi j’ai failli finir pédé, putain quel talent ce groupe
Discobitch, «C’est beau la bourgeoisie qui flâne à Hawaï», monte le son négro ou je t’étrangle.
Les crédits toxiques ? Vous en avez bien bénéficié, bande de
crevards. On devrait canoniser les traders. Nous vous avons permis de
vivre au-dessus de vos moyens. Les subprimes c’était notre banque des
pauvres à nous, je mérite un fucking Nobel Prize comme Muhammad Yunus.
Nous avons inventé des outils délirants pour vous permettre d’acheter
vos petites cages à lapins de merde. La faille du système c’étaient les
paradis fiscaux, chers crétins, personne ne l’a compris à part deux
Français : un socialiste nommé Arnaud Montebourg et un ancien
journaliste de Libération nommé Denis Robert (c’est pourquoi
j’adresse cette lettre ouverte à votre journal). Foutez la paix aux
SEIGNEURS. Ne mordez pas la main qui vous a nourri pendant tant
d’années, vous devriez nous remercier de vous avoir offert un rêve
durant les années 80-90-00, une utopie nommée société de
surconsommation mondialisée, espèce d’INGRATS, il est normal que vous
soyez en récession après avoir été hypergloutons tout ce temps.
Hey ! C’est grâce à moi si vous avez pu réchauffer l’atmosphère et
bousiller la nature. Personne ne vous forçait à vous surendetter pour
acheter des conneries. De toute façon, vous ne me retrouverez jamais,
je suis à l’abri avec ma fortune sécurisée en Suisse, au Guatemala et
aux îles Caïmans, j’ai rejoint mon pote le publicitaire Octave Parango
sur son île privée qui ne figure même pas sur la carte et nous
n’attendons plus rien à part la reformation de Genesis et la visite
quotidienne de notre dealer d’enfants. Peace, love, fuck your mother.
(1) Golden boy déjanté dans le roman de Bret Easton Ellis, American Psycho.
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